top of page

Accompagner la transition éducative (2) : que mettons-nous derrière les mots ?

J’ai parlé dans un post facebook, sur le groupe des créateurs d’écoles, de la « nécessité d’accompagner la transition éducative », et j’ai promis d’écrire quelque chose de plus développé à ce sujet. Le voici, en plusieurs parties !


Qu’est-ce que j’appelle la transition éducative ?

C’est tout simplement passer d’un fonctionnement éducatif à un autre. Voire d’un paradigme (= une représentation du monde) à un autre !

Car il ne faut pas oublier que pour la plupart d’entre nous, nous venons d’un système éducatif traditionnel, (que ce soit dans les écoles que nous avons connues ou dans nos familles).


Sur le papier, cela paraît tellement simple ! Les projets d’école, sur papier, sont tellement beaux, attirants, on rêve tellement d’être déjà dans l’idéal de ce qu’ils proposent !

Mais…

En fait non, cela ne se fait pas tout seul, loin de là !


Je vous propose quelques balises, quelques repères.

  1. Quel chemin ai-je parcouru pour en arriver à proposer ce projet ?

  2. Que mettons-nous derrière les mots ?

  3. Si ce que je propose est un idéal, qu’est-ce que cela signifie ?

  4. L’école certes, mais à la maison…


2. Que mettons-nous derrière les mots ?

La création d’une école, qui plus est innovante, est un tel chantier, d’une telle complexité, que la plupart d’entre nous choisissent de s’appuyer sur un collectif pour réussir.

Plusieurs cas de figures existent :

- Le projet est né de la rencontre de plusieurs personnes, souvent des parents ayant envie d’autre chose.

- Un porteur de projet a avancé seul pendant un temps. A un moment donné de son parcours de création, il ressent le besoin, la nécessité de s’entourer d’un collectif. Souvent car les tâches sont nombreuses, les contraintes colossales et bien souvent les résistances épuisent.

- Plus rarement, mais cela existe, des cavaliers seuls réussissent à monter le projet et ouvrir l’école seul, même s’ils sont accompagnés et aidés par leurs proches.


Dans tous les cas, un travail va être nécessaire, celui de clarifier ce que nous mettons derrière les mots. Que l’on soit seul ou plusieurs d’ailleurs, car de toutes façons nous allons à un moment devoir expliquer notre projet, et faire en sorte que l’autre puisse réellement comprendre tout ce qui va se jouer.


A l’ouverture de notre école, nous étions dans une phase où nous vivions bien des difficultés. Celle d’être financièrement dans le rouge était particulièrement préoccupante. Mais nous avions également vécu bien des tensions humaines.

Juste avant les premières vacances de la Toussaint, nous avions eu une Assemblée générale qui avait vu quelques nouvelles personnes rejoindre le Conseil d’administration. Notamment des personnes non concernées par la scolarisation de leurs enfants (ce qui au passage est un bien extrêmement précieux).

Michel, rompu au management de projets, nous avait proposé plusieurs exercices lors de la première réunion du nouveau Conseil d’administration, dans le but d’acquérir de la conscience de ce qu’il se passait pour nous, et être ainsi plus aptes à trouver des solutions.

L’un de ces exercices fut de se replonger un an auparavant, au début du collectif, et de proposer chacun 3 mots qui caractériseraient cette période. Les propositions ont fusé, furent notées et le verdict apparut à nos yeux après un moment de dissipation douloureuse du brouillard : aucun mot de concernait les enfants, la pédagogie, les apprentissages...

Ce fut un choc pour nous.

Nous prenions d’un seul coup conscience que nous n’avions ensemble jamais abordé l’essentiel. Nous avions été tellement absorbés par les diverses urgences personnelles que l’école soit ouverte, par les innombrables tâches, les multiples niveaux de complexité du projet, que nous n’avions pas pris le temps d’aborder l’essentiel.


(J’ajoute que, après avoir moi-même pris le temps d’analyser les raisons de l’échec de ce projet (notre école est désormais fermée), de toute façon, nous devions sentir inconsciemment, que nous ne pouvions pas aborder ces questions. Nous nous serions rendu compte des divergences profondes dues à ce que j’ai abordé dans « Accompagner la transition éducative » (1), à savoir la conscience du chemin parcouru par chacun.

Dans mon histoire, je me suis appuyée sur des personnes qui certes avaient de nombreuses compétences, beaucoup d’énergie et de volonté pour créer l’école, mais qui n’avaient pas fait le chemin minimum nécessaire pour la vivre au quotidien.)


Le collectif qui (se) construit se doit donc de :


- Clarifier les valeurs fondamentales que ses membres partagent et qui vont être l’ADN de l’école.

Dans le cas d’un porteur de projet seul, celui-ci doit faire preuve d’une honnêteté et d’un courage à toute épreuve. Il doit être conscient des valeurs profondes et non négociables de son projet, les assumer et les assurer.

C’est pour cela que les projets qui prennent ce temps-là voient des membres partir, d’autres arriver tout au long du processus. Parfois avec de la douleur.

Il en est de même avec les projets collectifs. CE qui peut être difficile à vivre là-dedans, c’est que parfois, les initiateurs d’un projet, d’un mouvement, se voient au bout d’un moment amenés à quitter le projet car les valeurs qu’ils souhaitaient voir émerger n’ont pas été adoptées par le collectif. D’autres ont été choisies.


- Se donner les moyens de s’assurer que le collectif comprend et partage profondément les valeurs.

Trois mots importants dans cette phrase : comprend, partage et profondément.


Comprendre : pour comprendre, il faut expliquer. Mettre des mots, donner des exemples, illustrer. Nous le faisons plutôt tous bien dans nos projets. Mais ceci n’est que la première couche.


Partager. Pour savoir si l’on partage, il faut éprouver. Vivre des moments ensemble. Vivre la construction ensemble. Au fur et à mesure des réunions, vous allez par exemple pouvoir éprouver si vous êtes véritablement à l'aise avec le fonctionnement horizontal si tel est le choix de l'association. J’ai vu une présidente démissionner car non, et ce sont ses mots, elle ne pouvait vraiment pas fonctionner horizontalement.

J’ai vu une autre présidente démissionner (oui, j’en ai vu des présidentes démissionner !) après un grand moment de tensions humaines, né d’une mémorable arrivée en réunion : « Je suis juste passée pour vous dire que ça ne va pas du tout, mais je ne souhaite pas en parler ce soir, je ne reste pas. On n’est pas du tout dans les temps pour les travaux, le travail n’est pas fait. » Puis elle s’est... assise ! Et attendait de nous que nous n’en parlions pas, comme elle l’avait demandé. Sauf que nous avions, nous, besoin d'exprimer notre point de vue, notre ressenti, et surtout de poursuivre la réunion de travail à laquelle nous avions, nous, décidé de participer.

Ce sont des moments durs à vivre, pour tous, qui mettent beaucoup de tensions. Mais ils ont comme bénéfice principal de participer au processus personnel d'élucidation : suis-je vraiment en cohérence avec ce projet ?


Profondément. Je dirais que le vrai test, pour vérifier que tout cela est profond, ce sont les enfants. Vous le savez, on ne peut rien (se) cacher avec les enfants ! Voyons-nous avec nos enfants, voyons si cela va être possible pour nous de faire avec les autres tels qu’ils fonctionnent avec leurs enfants.

Et soyons honnêtes.

Personnellement, si j’avais réussi à être totalement honnête avec moi-même, je n’aurais pas été plus loin avec une famille (mais comment faire quand cette famille est celle qui met le plus d’énergie dans la création ?!!!). Aveu de châtiments corporels réguliers (vous savez, ces petites baffes innocentes…), choix imposés aux enfants, propos dénigrants, bref, ça ne pouvait pas coller.

Tant que nous avons été dans la création, tout allait bien. Mais dès le premier entretien « famille / équipe pédagogique », à quelques jours de la rentrée, tout s’effondra : nous accueillîmes une famille extrêmement tendue, directive avec ses enfants qui pouvaient à peine bouger, et dans une attente de résultats quasi immédiats.

Deux semaines plus tard, la maman œuvrait pour faire partir une des enseignantes qui ne lui convenait pas ; deux mois plus tard elle tentait de monter le reste des parents contre moi ; trois mois plus tard, les enfants étaient déscolarisés de notre école, sans que les parents n’aient jamais accepté un seul rendez-vous avec l’équipe pédagogique. Trois mois et demi plus tard, les parents proféraient menaces et intimidations répétitives auprès des membres du Conseil d’administration et répandaient leur haine aussi loin qu’ils le pouvaient.

En moins de trois mois, l’idylle s’était transformée en cauchemar.


Lorsque ce travail de clarification et de vérification des valeurs partagées est fait, la pérennisation de l’école a plus de chance de réussir. Au bout de quelques années, le collectif peut être assez solide pour que l’école accueille en son sein des enfants et familles plus éloignées des valeurs fondamentales. Car l’école a trouvé son rythme, les enfants et les adultes se sont emparés des valeurs et les font vivre.


Mais il nous reste aussi à être attentifs aux limites que nous posons. Il est vraiment indispensable de réussir à aller poser des mots jusque dans les contrats d’engagement école / famille. Et prévoir.

Prévoir ce que l’on ne veut pas prévoir, quand les familles s’en iront. Prévoir ce qui va être inacceptable pour l’école. Prévoir les procédures. Prévoir les clauses de résiliation et ainsi protéger l’école.

Ce ne sont pas des mots que l’on aime poser lorsque nous en sommes dans la phase de construction, lors de laquelle nous avons un petit côté Bisounours, naïf et confiant.

Mais il le faut, car il en va parfois de la survie même de l’école.



Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
Pas encore de mots-clés.
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
bottom of page